L’information à la japonaise

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En France, comme beaucoup de personnes de ma génération (oui je généralise), je ne regarde plus trop la télévision. Je ne me retrouve pas dans ce qu’on me propose, aussi bien en terme de divertissement qu’en terme d’information. Que ce soit les magazines d’informations et leur gros titres racoleurs juste là pour ne pas vous faire zapper la pub ou plus généralement, les journaux télévisés, qui se cantonnent bien trop souvent à nous montrer des images de guerre, de conflits, de meurtres. Ces choses existent, il faut le savoir, en prendre conscience mais n’y a-t-il que ça comme informations à nous transmettre. Oh, il y a bien quelques autre bribes d’info sur des sujets plus léger mais c’est plutôt minoritaire.

Ce qui me gène vraiment avec l’info qu’on nous donne, quelque soit le support d’ailleurs, c’est qu’elle est manipulable, adaptable, on lui fait dire ce qu’on veut, on met en avant des choses plus que d’autres pour manipuler les masses (et je ne parle pas du conflit israélo-palestinien). Ca a toujours été comme ça ? Sans doute. Sauf qu’il n’y a pas toujours eu internet, et qu’avec ce formidable moyen d’information, on peut chercher l’info plutôt que d’attendre qu’on nous la donne. On peut multiplier les points de vue à moindre coup, remonter les sources, bref, on peut avoir un avis clair sur un sujet donné si on s’en donne un peu la peine. Vous avez tous déjà eu le cas ou vous voyez un média parler d’un sujet que vous connaissez très bien et voir qu’il raconte n’importe quoi sur ce sujet. Imaginez la même chose sur les sujets que vous ne maîtrisez pas…

Alors où je veux en venir avec tout ça ? Le rapport avec le Japon ? Y’en a pas vraiment, j’avais juste envie de dire ça en fait. Ah si, y’a un rapport, j’oubliais.

Je sais pas si les journaux français en ont parlé (après avoir fait des recherches pour cet articles, j’ai vu que si, et c’est drôle vous verrez), mais il y a quelques jours, une adolescente de 15 ans a assommé, étranglé, décapité et sectionné une main à une de ses camarades de classe. Un meurtre brutal, prémédité, bien préparé et avoué sans aucun remord.
Ici, le pays est sous le choc. Enfin, autant sous le choc que si ça arrivait en France en fait. Sauf qu’en France, pour parler de cette affaire, il y aurait une série de petites interview, de la gendarmerie qui dirait ce qu’elle peut dire donc pas grand chose, d’un politicien qui dénoncerait l’acte et se ferait bien voir et on aurait des journalistes qui harcèleraient la famille de la victime et la famille de la meurtrière pour savoir le pourquoi du comment.

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Au Japon, on ne traite pas le sujet de la même manière. Je vais parler de ce que je comprends et de ce que je vois car je comprends pas vraiment tout non plus. Déjà, les journalistes sont tenus loin de la scène du crime et au mieux, on ne voit que des bâches blanches pour cacher des yeux indiscrets ce qui n’est pas montrable (corps, accusé, armes du crime, etc). Ensuite, si un journaliste se rend plus tard sur le lieu du crime (en l’occurrence un immeuble), tout le lieu est flouté et l’on ne voit que le journaliste de net. Vous allez me dire, pourquoi montrer le lieu si c’est pour le flouter ! Je me pose la même question avec les films porno (j’ai vérifié, y’a pas de pixel en vrai). Il y a donc un certains anonymat du lieu.

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Chose plus malsaine par contre, quand le journaliste a trouvé un appartement identique à celui où le meurtre a eu lieu (tous les appartements se ressemblent dans les immeubles) afin de faire une visite guidée, façon « c’est sur ce lit qu’elle a donc décapité sa camarade, puis est allé se laver les mains dans cette salle de bain, regardez ! ». C’est à mon sens macabre et déplacé. Mais je crois me souvenir avoir déjà vu des videos de scène de crime au journal en France. Ca me gène moins dans le sens où ça ne fait pas visite guidé mais bien témoignage du lieu. Je pense que ça ne devrait pas être montré de toute façon.

Autre différence avec la France, la reconstitution 3D du crime. Histoire qu’on se rendent bien compte de la manière dont ça s’est passé. Ca reste très sommaire mais on indique quand même bien où la victime à été découpé. Bon appétit.

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Concernant les témoignages, il y a une vrai mise en scène, le but est clairement de faire croire par la manière dont c’est filmé, que vous allez avoir une exclusivité. La caméra tremblotante qui film le buste, comme si c’était en caméra caché, l’image un peu brut, parfois la voix déformée… Tout ça pour entendre finalement que la meurtrière était gentille mais un peu instable (elle avait mis de l’eau de javel dans la nourriture de deux camarades en CM2 parce qu’elles étaient méprisantes avec elle). Sans déconner !

Cette dernière a donc acheté un marteau et une scie avant d’inviter sa camarade chez elle. Elle l’a assommé, étranglé, décapité et coupé une main. Pourquoi à votre avis ? La folie ? Bien sûr mais la vraie raison, c’est qu’elle voulait voir ce que ça faisait d’autopsier un corps. Logique non ? Et personne n’a vu que cette jeune fille était instable ? Impossible vu qu’elle vivait seule depuis le décès de sa mère l’année précédente et le remariage de son père. Quoi de plus normal de laisser une adolescente seule après tout !

Autre chose que la télé japonaise vous propose : une description des armes utilisées. Rien de plus simple, il suffit de les acheter et de les amener sur le plateau pour qu’un journaliste vous montre comment ça marche. C’est – glauque !!!!

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L’ensemble est monté avec des voix off, façon reconstitution, avec les phrases importantes réécrites sur l’écran pour appuyer les propos (c’est une spécificité de la télé japonaise en même temps). On en arriverait presque à penser que finalement, tout cela n’est que de la fiction, que ce n’est pas vrai et ça provoque un certains détachement vis à vis de l’information qu’on nous transmet. Ce n’est plus de l’information, c’est une histoire qui nous est racontée.

Je ne doute pas que dans les propos tenus par les intervenants, des détails doivent être donnés, des recommandations et plein d’autre choses qui casse peut-être ce détachement mais de mon point de vue de non japonais ne comprenant pas la langue, c’est comme ça que je le perçois.

photo que la meurtrière (présumée) aurait posté sur internet. A véridier.

Ce qui rend encore plus important ce crime, c’est qu’on parle peu de mort et de choses graves à la télé japonaise. La télé ici est un divertissement et non un outils d’information et de connaissance. La connaissance est amusante (apprendre à faire la cuisine, apprendre des choses sur l’artisanat, sur des spécifités du pays, ou bien des quizz) et toujours avec des star du petit écran qui font n’importe quoi et détendent l’atmosphère).
Le contraste est vraiment fort du coup. En France, on est presque blasé de voir qu’il y a eu des morts dans tel pays, un grave accident de la route, etc. On a tellement l’habitude que pour être touché émotionnellement, il faut être personnellement concerné.

Par curiosité, j’ai regardé le site de 20 minutes et du parisien pour voir comment l’info était relayée. C’est simple, ils font un copié coller de la dépêche AFP. Contrairement aux sites anglophones qui font au moins une réécriture de leur propre dépêche.

20 minutes/le parisien
20 minutes/le parisien

 

Du coup, au Japon, je ne regarde pas beaucoup la télé. Un peu le matin et un peu le soir quand ma copine est là mais ça ne va pas plus loin. Pas parce que je ne comprends pas mais bien parce que beaucoup de choses m’énervent, un peu comme en France en fait. En vrac, voir toujours les mêmes têtes dans les émissions, voir trop d’émissions de cuisine ou tout est toujours super bon, où les intervenants sont des spécialistes de « l’over-reaction », le surjeux façon mime sauf qu’en plus il y a le son. C’est japonais, c’est comme ça.

Finalement, qui de la France ou du Japon traite le mieux l’information, je ne sais pas. L’info, je préfère aller la chercher. Ce n’est pas les sites qui manquent et il n’est pas rare que les média étrangers soit plus fiables que les médias français. Quand les journalistes reprendront les bases de leur métier (vérifier les sources, vérifier l’information, vérifier son orthographe (je suis pas journaliste)), alors peut-être qu’il sera pertinent de mettre sa méfiance de côté.

Je terminerai par la citation d’un grand sage qui, concernant ce sujet, répondit à cette question « qui sommes-nous pour juger la curiosité scientifique d’une adolescente ? » par :

« Personne, évidemment. Mais tuer froidement une adolescente sans en avoir profiter avant j’ai toujours trouver ça du gâchis. »

Maj : Les informations sont un peu plus nombreuses. La meurtrière collectionnait les têtes de chats décapitées dans son frigo, elle avait prévenu sa belle-mère qu’elle tuerai quelqu’un parce que les chats c’était plus drôle. Elle vivait seule car elle avait agressé son père avec une batte de base-ball et ce dernier a demandé à plusieurs reprise l’internement de sa fille, sans succès. Voilà où ce genre d’ingérence peut amener.

4 Réponses

  1. Commentaires activés

  2. La télé japonaise, c’est un peu la télé française du futur, pub toutes les 20 minutes divertissement 24h/24.

    C’est un peu un JT de 13h de TF1 avec beaucoup de sujets légers. Le meilleur des mondes à la télévision. Les patrons de chaines (ou leurs sponsors publicitaires) ont une idée de ce que les personnes devraient regarder et ce qu’elles aimeraient, avec des sujets courts/racoleurs/…

    De plus, au Japon, ils ont tendance à plus « mettre en scène » les émissions avec le déplacement des présentateurs sur le plateau, des reconstitutions, le tableau où on enlève les caches,… La forme est certainement plus sympa à regarder mais laisse en général moins de place au fond.

    Ensuite ce qui me gène, c’est la présence de Geinojin dans des émissions de société/actualités où on leur demande leur avis à faire tenir en 140 caractères ou juste un bon mot. Pareil pour les potiches (hommes ou femmes) qui ne servent à rien à part attirer le téléspectateur qui verra un nom connu.

    Dernier point qui m’agace en France comme au Japon (de ce que j’ai vu), très peu d’émissions politiques intéressantes où on laisse les gens exprimer un point de vue.

    Après, ces éléments concernent surtout les grosses chaines nationales (Asahi, Fuji, Tv Tokyo,…) et leurs imitations régionales, il y a sûrement des chaines spécialisées différentes.

    Pour le traitement des affaires criminelles, il y a aussi la protection de la famille de la victime et du suspect. La pression sociale fait qu’en général ils essaient de ne pas divulguer les noms de famille parce qu’ensuite ils n’ont plus qu’à déménager. :/

  3. Les reconstitutions, la mise en scène, le voyeurisme, ont y vient très rapidement en France, déjà avec l’import direct d’émission des USA à peine traduite et diffusé en boucle sur la TNT, et puis avec quelques émissions purement française qui sont un peu plus théâtrale comme « Faites entrer l’accusé » ou ces successeurs.

  4. De toute façon les faits divers de ce genre qui sont extrêmement rare heureusement permettent de créer une diversion.
    Pendant que les puissants magouilles dans le dos du peuple, la presse qui leur appartient ne va parler que de sujets qui changent la vie de personne.

    En France une partie de la population ne regarde déjà plus la télé. Quand cette partie de la population vieillira elle continuera de ne plus regarder la télé.
    Ce mode de divertissement est amené à mourir car un autre va le remplacer puisqu’il est beaucoup plus adapté à notre époque et le sera encore plus dans le futur.

    Est-ce que les jeunes japonais regardent encore la télé ?

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