Sans en connaître le nom original, vous savez forcément ce qu’est un kaiju eiga. Vous êtes familiers de son plus grand représentant mais ne soupçonnez sans doute pas sa genèse, la genèse d’un genre à part entière ayant eu une symbolique forte au Japon.
Le kaiju eiga est un genre de film apparu en 1954 au Japon avec la sortie de Godzilla : le film de monstres. Le film de monstres géants pour être plus précis. Ne confondons pas les monstres classiques que sont les loups-garous et autres vampires, assimilés à quelque chose de mauvais et de démoniaque, avec les vrais monstres que sont ces créatures capables de raser une ville pour le fun, nés le plus souvent de la main de l’homme pour devenir des forces de la nature. Chez nous, ce sont des films super kitch et nous ne sommes pas super sensible aux combo carton-pate/comédien en costume. Sans doute car nous n’avons pas grandi avec ce genre de film dans notre paysage cinématographique.
En 1954 donc, le premier film de kaiju eiga japonais sort en salle. Je précise japonais car King-Kong est considéré comme un kaiju eiga et le premier film est sorti bien avant, en 1933. C’est d’ailleurs lui qui a inspiré le réalisateur Ishiro Honda dans son processus créatif. Il voulait à la base faire un remake de King-Kong (le film est ressorti en 1952 dans une version censurée et a cartonné au box office) mais il eu le loisir de faire bien mieux. Avec un budget colossal de 900 000 millions de yens (le budget moyen d’un film à l’époque est de 75 000 millions de yens), la société Toho donne à M. Honda les moyens de créer un monstre original qui deviendra une légende, le bien nommé Godzilla. Il se base sur la peur du nucléaire partagée par tout le pays pour imaginer une catastrophe encore plus grande. Le nucléaire tue mais le nucléaire peut aussi transformer et quand sort de l’océan pacifique ce lézard géant, l’homme doit bien reconnaitre que ce mal a été fait par sa propre main. Faire un film de monstre, d’accord, mais il y a un message derrière. Ne plus utiliser le nucléaire, prendre conscience du mal que fait l’homme sur la nature, renforcer son esprit patriotique face à un ennemi commun, etc.
Grâce à ses effets spéciaux novateurs (un homme dans un costume écrase la maquette d’une ville) et au thème abordé, le film est plus qu’un succès. La mort de la bête à la fin du film n’est pas au goût des détenteurs des droits et une suite sort l’année suivante avec… allez soyons original, un autre lézard qui vient du même endroit ! Foutu essai nucléaire ! Combien de monstres vas-tu créer ?
Plein à vrai dire car le kaiju eiga marche ! Si bien que les suites de Godzilla s’enchainent et que d’autres monstres sont créés. Comme ennemis principaux pour de nouvelles licences ou comme ennemis de Godilla. Avec son succès, Godzilla a perdu sa symbolique anti-nucléaire pour devenir le défenseur du Japon contre l’invasion d’autres mutations génétiques ou de monstres venus de l’espace. En vrac, on peut citer, aussi bien en ennemis qu’en monstres principaux, Rodan l’oiseau géant, Mothra la mite géante, la tortue Gamera, Baradagi le varan géant qui vole (bah oui, un varan, ça vole), le fils de Godzilla, Mechagodzilla, etc, etc. Honnêtement, qui a eu l’idée de faire d’une mite un monstre géant capable de détruire une ville. Surtout qu’elle commence à l’état de chenille avant de faire son cocon sur la tokyo tower ! Gare à vos pull, la mite géante arrive !
Les succès s’enchainent mais la lassitude arrive vers la fin des années 60. Les effets spéciaux n’ont guère évolué et l’abondance de sorties noie le public. Il faut dire que la construction de chaque film est très similaire : une équipe se fait attaquer par un monstre, le seul survivant n’est pas pris au sérieux, le monstre attaque de nouveau, tout le monde le voit, le monstre veut détruire Tokyo, l’homme le défonce avec une super arme ou avec Godzilla. J’exagère mais c’est pas loin d’être ça le plus souvent. On rencontre de nos jours le même soucis dans le milieu du jeu video où certains styles sont inondés de productions parce que quelques jeux ont eu du succès. Radical pour vous en dégouter.
Des films sortiront jusque dans les années 2000, avec des passages à vide de plusieurs années et des tentatives pour relancer le genre. Mais le budget n’est jamais à la hauteur des ambitions. Il faut en plus comprendre que le coté kitch de l’homme dans un costume de monstre détruisant du carton fait presque partie du code des kaiju eiga et que moderniser cette partie trahirait une partie de l’esprit du genre. Ce code est repris dans les sentais japonais (Ultraman pour ne citer que lui) et le héros finit souvent par affronter son ennemi alors qu’il est devenu géant.
Au fil du temps, le kaiju eiga a aussi changé de cible, pour viser un public plus jeune, plus enfantin. Les thèmes sont moins profonds et le traitement moins sérieux. Difficile de déplacer les foules si on ne vise pas les bonne personnes. On abandonne aussi la destruction de ville trop onéreuse au profit de décors désertiques clairement moins impressionnants mais qui ne coutent rien.
Plus proche dans le temps, c’est l’industrie du cinéma américain qui s’est approprié le genre avec la ressortie de Godzilla en 1998, réalisé par Roland Emmerich. C’est un remake du film de 1954 où l’on découvre que les essais nucléaires français (sic !) dans le pacifique ont fait muter un lézard qui va venir à New York pour pondre des œufs. Gros budget et plein d’effets spéciaux pour un film que j’avais apprécié à l’époque. J’imagine qu’il ne vaut mieux pas le revoir avec des yeux d’adulte. Et puis… y’a Jean réno dedans. Jean réno putain !!!!
Plus proche de nous encore, nous avons « Cloverfield ». Aimé ou détesté, il aura au moins eu l’originalité d’utiliser la caméra à l’épaule dans un film catastrophe et le point de vue d’un groupe lambda face à une attaque de monstre. Contrairement aux kaiju eiga originaux, on ne sait pas d’où vient ce monstre ni ce qu’il veut. Logique vu que l’on est un civil pris dans la tourmente sans aucune info. J’avais bien aimé mais encore une fois, il ne faut pas décortiquer le film. Parce que bon, vous admettrez qu’il n’est relativement pas humainement possible de descendre un immeuble de 50 étages par les escaliers alors que l’on vient d’être empalé sur une tige métallique de 60 cm. Dans ce film, on peut le faire ! Sans être essoufflé ou simplement sans… mourir. Mais je m’éloigne du sujet
Pourquoi avoir abordé ce sujet des keiju eiga ? Déjà car c’est une partie importante de l’histoire du cinéma japonais. En analysant plus sérieusement les premiers films du genre, on découvre plein de critiques de la société, des progrès scientifiques, de leur utilisation, une moral sur le devoir de l’homme face à la protection de son environnement, etc. Mais aussi parce que tout le monde connait Godzilla sans forcément connaitre toute l’histoire qu’il y a autour. C’est la partie émergée de l’iceberg. Les monstres géants sont encore aujourd’hui un genre à part entière et c’est viscéralement fun de voir un « Giant shark vs octopus » tant l’ensemble est ridicule à tous les niveaux. C’est la dérive d’un genre qui fût à la pointe des effets spéciaux et avec un fond vraiment travaillé.
Mais j’ai aussi voulu en parler car le renouveau du kaiju eiga est sur le point de voir le jour cet été. Le réalisateur plus que talentueux Guillermo Del toro (Blade 2, Hellboy, Le labyrinthe de Pan) a en effet réalisé le fantasme de tout fan de kaiju eiga, de tout fan de jeux vidéo, de monstres géants et de méchas. Il a fait « Pacific Rim ».
Dans l’océan pacifique, une faille entre les dimensions s’est ouverte et des monstres géants sont arrivés sur terre, détruisant une à une les grandes villes du globe. Pour les combattre, l’homme a créé des monstres à leur mesure. Des robots géants pilotés par deux personnes reliées par un lien psychique. Tous les codes du kaiju eiga sont là : monstres géants, villes détruites, morale sur le rôle de l’homme, combats dantesques… Tout ça soutenu par des effets spéciaux dignes de ce nom et une vision de réalisateur qu’on imagine à la hauteur, vu la filmographie du bonhomme. Si vous n’avez pas vu la bande annonce, je vous laisse juger :
J’ai hate de voir ce que donnera cet hommage non dissimulé aux films des années 50 et qui sait, peut-être aura-t-on droit à un renouveau japonais des films de monstres, avec une approche résolument mature et visuellement acceptable.
2 Réponses
Cyril
Il y a aussi une trace des monstres géants dans les séries comme san ku kai ou plus récent comme bioman et power ranger. Tu n’en as pas parlé.
Sinon a l’inverse il y a Denver le petit dinosaure mais c’est un autre sujet: les monstre gentil
albatruc
Si si c’est la reprise dans les sentai comme ultraman, j’en ai bien parlé.
Mais c’est juste une dérive du genre donc je me suis pas attardé.