Shanghai… Toi et moi, on est partis sur de mauvaises bases. C’est vrai, notre relation a des débuts assez chaotiques. Tu te refuses à moi comme une timide jouvencelle avant de me castrer financièrement, en riant à gorge déployée. Ne m’en veux pas si je te savate gentiment la gueule de temps en temps, tu le mérites un peu. Mais je suis un homme et je suis faible. Je suis faible devant la beauté et je suis encore plus faible devant l’originalité, l’humour, le répondant, le caractère et l’inattendu.
Et tu ne manques d’aucun de ces traits chers à mon cœur. La pauvreté soudaine dans laquelle tu m’as plongé me force à te découvrir lentement, doucement, en suivant les courbes de tes rues et en scrutant ton galbe de béton et d’acier. On peut carrément dire que je te piétine plutôt que de te sillonner en prenant un métro trop impersonnel. J’aime autant prendre mon temps et savourer cette découverte mutuelle, préliminaire à notre histoire commune dont la rupture est déjà programmée.
Au début, je t’ai trouvé assez négligée. Tu te laisses clairement aller. Ce qui n’est pas visible n’a pas besoin d’être éclatant j’imagine. Tes bas-fonds, ces quartiers où aucun touriste ne va sont sales, que ça soit la rue ou les trottoir en passant par les ruelles. Tes fleuves aux eaux stagnantes puent, tes immeubles semblent tomber en miettes au point qu’on a peur qu’ils s’effritent au moindre contact. C’est un peu ton côté rustique, ton côté naturel et authentique. C’est ton vrai toi, le reflet d’une personnalité un peu brut qui vit de ses propres règles, comme elle l’entend. Si j’admire ce naturel, pense quand même à te respecter et à penser aux autres. La propreté est une affaire de société et si chacun faisait plus gaffe, se promener dans tes arrières rues serait plus agréable. De même, risquer sa vie à chaque passage piéton parce que personne ne respecte les feux rouges, ce n’est pas te rendre service et ce n’est pas une bonne image que tu renvoies. Tu m’as déjà fait peur et je pense que ce n’était qu’un début.
Je découvre ton corps avec lenteur, Shanghai, et après tes pieds un peu sales, je remonte vers ton buste. Tu prends des formes, de la hauteur et tu fais un peu plus attention à ton apparence. Des immeubles un peu plus haut poussent par grappes concentrées et dans peu de temps, il y en aura bien plus. Par contre, ce n’est toujours pas très reluisant et un bon ravalement de façade ne te ferait pas de mal. Au moins, les rues ressemblent à quelque chose maintenant. Plus je remonte vers ton côté pimpant et plus tu deviens coquette. Ne dis pas non, les boutiques que je vois fleurir à ton cou te trahissent. Les boutiques de luxe et de grandes marques se pavanent sur les façades de tes centres commerciaux, tout néon dehors. Tu aimes ce qui brille et personne ne te le reproche. C’est un trait féminin de se faire plaisir de la sorte et ça fait plaisir aussi à tout tes « visiteurs ». Et tu en as vraiment beaucoup, espèce de dévergondée. On est nombreux à te visiter en ce moment, mais j’ai l’avantage d’avoir ce côté exotique que mes camarades arpenteurs n’ont pas. Je suis grand, beau, avec de grands yeux et je ne passe pas inaperçu. Je ne te vole pas la vedette, loin de là. J’arrive cependant à tirer mon épingle du jeu et à détourner les regards d’une partie de ta foule. Tu devrais d’ailleurs leur apprendre la politesse. On ne dévisage pas l’objet de ses désirs. C’est déstabilisant et un peu déroutant. Je ne suis pas comme toi, je n’ai pas l’habitude d’être observé longuement et intimement. Je suis gêné.
Oh, mais j’ai dû me tromper de chemin. Je croyais me rapprocher de ton visage et de ton sourire, mais me voilà dans ton jardin secret, dans l’intimité de ta verdure, ton « People’s square » comme les gens l’appellent. Ne m’en veux pas, je suis un homme et j’aime ce calme, la douceur de l’herbe et le clapotis de ta fontaine. Ta chaleur nous enveloppe au milieu de ce parc rempli de musées et bordé de bâtiments d’un autre temps alors ne nous en veux pas de nous rafraichir en ton sein. Enfin, au sein de ton jardin, tu m’as compris.
Je sens que tu n’es pas à l’aise de me voir de la sorte fouler du pied ton intimité alors je remonte vers ce visage que l’on m’a souvent dépeint, ce sourire de tour et de building. C’est un paysage qui s’affiche aux quatre coins du monde, car oui, Shanghai, tu es désormais célèbre. Aussi célèbre que tes sœurs Pékin et Hong-kong. Tes formes n’ont rien à envier à ta rivale New-York car ta touche d’exotisme et ton incroyable ascension sont des atouts de charme. Tu t’es développée extrêmement vite car si l’on revient 20 ans en arrière, tes building était des marécages.
On appelle ton sourire le « Bund ». Il suit la courbure de tes lèvres, la rivière Yangzi Jiang. Quand j’ai vu tes berges, j’ai d’abord cru que je ne regardais pas la bonne personne, que je regardais une de tes lointaines cousines, Paris ou Londres. La méprise était facile car vous avez les mêmes ancêtres. Il y a un peu d’eux en toi et tous ces bâtiments, vestiges d’un autre temps colonial, appuient mes dires. Cette partie de toi est ancienne même si aujourd’hui tu te l’es réappropriée et que tu en es fière. La banque de chine a remplacé une quelconque ambassade occidentale. C’est encore une touche d’originalité et d’exotisme quand on voit qu’en face, ton vrai visage se révèle à moi alors que mes pas foulent ta croisette, ton « Bund ».
Tu es encore plus belle en vrai qu’en photo tu sais. On te le dit souvent ? C’est que c’est vrai alors. Pourtant, j’en ai connu des belles femmes avant toi : Tokyo, Kyoto, Seoul, Paris… Mais toi, tu es différente d’elles. Je ne saurai pas dire si tu es globalement plus jolie ou pas, mais ces buildings, mélange d’architecture moderne et de ligne plus classique me charment, c’est indéniable. De l’Oriental Pearl tower et ses multiples boules à la World financial center, plus haut building de la ville, en passant par la Shanghai center en construction, on est tous sous le charme. Et c’est un grand « tous ». Je n’imaginais pas que ta popularité était si grande. Il faut dire que tu vis dans un immense pays très peuplé. 1 milliard de personnes dont la moitié prend le métro avec moi, quand je n’ai pas de temps à t’accorder dans des préliminaires pédestres.
Il n’y en a pas autant en ce moment avec moi mais il n’y en a encore pas assez pour que je me fonde dans la masse. Le pourrai-je seulement un jour, alors que la masse fait une tête de moins que moi ?
Je suis sous ton charme mais je n’en oublie quand même pas ton coup de pute. Tu m’as castré, ne l’oublie pas, alors ne lésine pas sur les attentions pour te rattraper. Tu prends les devants on dirait et j’avoue que sur ce coup, je suis très surpris. M’envoyer des jeunes femmes pour qu’elles se prennent en photo avec moi, c’est assez inattendu et déroutant. Je ne suis rien d’autre que moi-même alors pourquoi cette attention ? Car je suis occidental donc exotique. Jeunes femmes, jeunes hommes, femmes moins jeunes, c’est bien une dizaine de personnes qui poseront avec moi, tes building en toile de fond comme une bénédiction silencieuse à ces petites infidélités. Le plus déroutant a été ce jeune homme me disant que sa copine voulait être prise en photo avec moi. Elle n’aurait pas pu être plus collée à moi et si ça avait été une ville, comme toi, j’aurais volontiers visité son jardin secret avant de me perdre dans son sourire. Des gens me parlent car ils veulent parler anglais, les gens me sourient car je souris aussi. C’est un bon début de réconciliation, Shanghai.
Tiens, voilà déjà la nuit et comme toutes les jeunes femmes qui cherchent à plaire, tu te fais belle pour rivaliser avec les étoiles. Ta lueur les éclipse totalement et le monde du Bund est à tes pieds. Comment ne pas l’être devant ta beauté ? Tes lueurs soustraient au monde ses tracas et le temps d’un instant, nous sommes tout à toi. Tu es belle mais tu es aussi vivante, touchante et proche des gens. Tu m’as montré qu’il suffisait d’aller vers les autres pour partager un petit instant de joie. Pourtant on ne se comprend pas très bien toi et moi, on ne parle pas la même langue. Mais le sourire est universelle et tu fais des efforts pour être mondialement comprise en parlant un peu anglais. Ok, souvent on me propose des massages et du sexe mais c’est un effort quand même.
Je reste longtemps à t’admirer. Je ne suis pas amoureux, non, juste charmé. J’ai vu quelques une de tes forces et tes qualités mais aussi pas mal de tes défauts. Si ils t’ajoutent une part d’humanité, ils sont quand même parfois agaçants (tu es bordélique, bruyante, sale et étouffante quand même). Je dois passer réellement plus de temps avec toi. Je veux mieux te connaître, savoir si cette attirance que j’ai eu pour toi par internet et un peu en vrai, se concrétise une fois dans la réalité de la vie. Entre une impression et la réalité, il y a un monde que je veux découvrir par moi-même. Une semaine en vrai, c’est court mais ça fait des mois que j’attends.
4 Réponses
ismath
Bon début ! Dis ce sont des nuages/brouillard ou la pollution le fond blanc/gris du ciel permanent sur tes photos ? Même sur les photos de nuit on retrouve ce halo blanchâtre.
Le mélange architecture coloniale et moderne me plairait bien, ce mélange, parfois brutal, ancien/moderne est l’une des caractéristiques que j’aime à Tokyo.
albatruc
c’est un mélange entre brume de chaleur (38°c à l’ombre + ville avec pas mal de canaux) et pollution. Pourtant, on ne ressent pas beaucoup cette pollution. Il n’y a pas de voiture en excès et la plupart des deux roues sont électriques. Mais je résumerai ces petits détails plus tard.
cyril
je ne dirai qu’une chose : bravo !
cette petite ballade romantique, était très agréable avec ta maîtresse : shanghai
albatruc
Merci merci… j’essais d’écrire des fois… quand je suis inspiré