Tokyo : vie nocturne

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Ce titre est tellement cliché que j’en ai presque honte. Sérieux : vie nocturne quoi ! Genre moi, je suis le genre de mec à avoir une vie « nocturne » et le plus à même de vous en parler. Zéro crédibilité.

Et bah ouais, la semaine dernière, j’ai du avoir une vie nocturne l’espace de deux nuits. Non pas des nuits folles à groover sur les dance floor de Roppongi ou à chauffer de la jeune jouvencelle en manque d’exostime à Shibuya, rien de cela ne serait vraiment moi (sobre en tout cas). La vie nocturne que j’ai expérimenté, pour raison de tournage, est bien moins glamour et pourtant tellement japonaise.

J’avais dans l’optique de tourner dans des lieux normalement très animés le jour et complètement désert la nuit. Les métros de tokyo fermant leur portes assez tôt, aux alentour de minuit pour la plupart des lignes, je devais donc avoir la nuit devant moi. Partant de ce principe, je suis parti de chez moi avec mon petit vélo sur les coups de 23h30, à la conquète d’une métropole que j’imaginais déjà toute à moi. Quelle ne fut pas ma déception quand la réalité me rattrapa. La garce avait un avantage, elle était en taxi et moi à vélo. Tokyo ne dort pas. Tokyo n’est jamais vide. Tokyo vit la nuit presque autant que le jour. Tokyo m’a fait un bon gros pied de nez en riant d’un rire sardonique.

Commençons par les taxis. Perdu dans la foule des automobilistes, on sait qu’ils sont là mais ils ne sautent pas aux yeux sous les rayons du soleil. Sous l’astre lunaire, c’est carrément l’inverse, il n’y a pour ainsi dire qu’eux qui roulent. Et ils sont tellement nombreux ! A chaque feux, chaque croisement, chaque lieu important, c’est une dizaine de taxis qui patientent ou déambulent à la recherche du couple dont les ébats ont été trop long, du salary-man surchargé de travail ou de la fine équipe qui a trop picolé. Et tout ces gens sont aussi assez nombreux.
Pas de quoi justifier cette abondance motorisée mais je pensais que c’était plus exceptionnel que ça de rentrer si tard chez soi. Je ne parle pas de rater à 2 minutes près le dernier métro mais bien de sortir d’un bar entre collègue à 2h du matin.

Ensuite, il y a les livreurs. Ceux qui vous agacent en France à bloquer la ruelle que vous avez prise pour gagner du temps. Ceux la sont pourtant aussi invisibles que les taxis le jour, les places mises à leur dispositions étant très nombreuses. Vous savez, ces fameuses voies de stationnement/déchargement que seul les taxis et les cyclistes utilisent. Et bien la nuit, ils bossent autant que le jour. Les denrées ne sont pas les mêmes mais ils arpentent les rues afin qu’au matin, chacun puisse prendre sa dose de routine quotidienne.

Dans les quartiers branchés, il y a les clubers. Peu importe que l’on soit en plein milieu de la semaine, il n’y a pas de jour pour faire la fête. De jour, ou plutôt de nuit. En traversant ces quartiers, on perd une notion du temps qui est déjà bien fragilisée par le cycle jour/nuit différent de son équivalent français. Est-il 18h ou 3H ? Pourquoi il y a tant de monde sur les trottoirs ? Les bars précèdent les boites de nuit et les japonais précèdent les occidentaux. C’est qu’ils ont un travail, eux ! Je fuis le plus vite possible ces quartiers, les seuls où j’ai le sentiment de pouvoir être emmerdé par un mec bourré.

Sur les coups de 4h30 du mat’, les « host » ont fini leur nuit de labeur. Vous savez ces jeunes hommes au look androgyne, aux coiffures ridicules et qui travaillent dans des bars où leur rôle est de tenir compagnie aux jeunes femmes. Leur tenir compagnie, les faire consommer, être à leur écoute, avoir de la discussion et du charme, des qualités et des obligations indispensables pour tout « Host » qui se respecte. Et attention, pas de sexe entre nous ! Pas dans l’établissement en tout cas. A 4h30, ils sont frais comme des gardons, la mèche impeccable et le costard sans un seul plis. Bien sûr, ils ne sortent pas seuls, une jupe n’est jamais très loin, malgré la fraicheur des nuits de novembre.

Vous savez ce qu’est un Koban ? Ca ne se mange pas, désolé pour les gourmands. Ce sont ces postes de police que l’on trouve un peu partout. Deux pièces pour écouter les gens et les enfermer si il y a besoin. C’est un peu un mini commissariat de quartier et quand je dis quartier, je vois peut-être grand. Car il y en a vraiment beaucoup dans la ville. Ils participent à ce sentiment de sécurité il est vrai, mais la nuit, même en étant innocent, ils te pointent du doigt, le sourire au lèvre et te disent : « tu es un gaijin (étranger), tu l’as volé où ton vélo ? »
Ouais, je me suis fait contrôler par les flics, un couple jeune/vieux devant leur koban. A force de passer devant ces représentants de la loi en pleine nuit, il fallait bien que ça arrive. Tout a été très courtois et très poli, comme toujours au japon. Le vieux, sans doute le supérieur, me demande si je comprends le japonais, ce sur quoi je lui réponds que non bien sur… En lui retournant la question, de savoir si il comprend l’anglais. L’arroseur arrosé, je suis un fou avec les flics ! Le jeune parle et comprend bien. Sans faire de grands discours, il se fait comprendre sans trop d’accent. Il me demande ce que je fais au japon. Bah je suis en vacance pour an pourquoi ? Chacune de mes réponses sera traduite à son supérieur mais celle la l’a fait beaucoup rire. Je peux pas lui en vouloir, les valeurs du travail au japon sont autrement plus hautes qu’en France. On me demande d’où je viens, la France ne les fait pas bander on dirait et le vieux dit un truc à propos du fait que je parle anglais. Dans ma tête je l’ai traduit par « il est de france et il me demande si je parle anglais. ah ah ah  » Mais en fait j’en sais rien.
La question fatidique arrive enfin, celle que tous les koban me murmurent à longueur de nuit : « c’est votre vélo ? ». Non non, je l’ai piqué à une vieille y’a 10 minutes. Vous trouverez son cadavre dans les fourrés. Remerciez-moi, vous êtes pas foutu de faire des momes donc un vieux en moins, ça augmente votre ratio jeunes/vieux.

Je crois qu’ils auraient pas apprécié le second degrés donc j’ai juste dit « oui ». Clair et concis, droit au but. Après, on se serait cru dans « hooker », avec le jeune, sa radio accrochée à l’épaule droite qui demande à son central de vérifier l’immatriculation de mon vélo ainsi que son numéro de série. Je m’attends d’une minute à l’autre à devoir montrer ma Resident Card. Que dalle, à aucun moment je n’ai eu à la montrer. Le Central a du lui dire que c’était pas un nom japonais qui était déclaré propriétaire du vélo car ils m’ont laissé partir sans même demander mon nom. Bien sur, tout le temps du contrôle, je suis resté sur mon vélo et ils m’ont remercié pour ma gentillesse. On m’a dit qu’en France, ça ne se passait pas comme ça mais je n’ai jamais été contrôlé donc, je n’irai pas raconter n’importe quoi. Qu’est ce que je dis moi, j’ai vu tous les reportages de NT1 et W9, bien sûr que je sais que les contrôles de flic finissent par un touché rectal !

Les derniers acteurs de ces nuits ne sont pas les plus feignants. Leur présence ferait hurler les français  et leurs activités serait un trouble de l’ordre public nocturne. Et pourtant, on est bien comptant qu’ils bossent la nuit pour laisser les rues tranquilles en pleine journée. Je parle bien sur des travailleurs du BTP, de la voirie, les employers du gaz ou de l’eau. Ces hommes qui a la nuit tombé arrivent avec leur camion, se préparent à l’assaut, attendant le signal de leur supérieur pour éventrer la chaussée, faire leur besogne et tout reboucher avant que le soleil ne pointe ses premiers rayons. Ces hommes qui vivent en contre temps du peuple, pour que celui-ci ne sois pas gêné par ce désagrément, ce rétrécissement de voie. Ces hommes qui sont quand même à la pointe de la technique pour faire le moins de bruit possible, le moins de poussière possible. Ils ont des marteau-piqueurs, non pas silencieux mais carrément moins bruyant que les nôtres, des aspirateurs géants pour aspirer la poussière, des projecteurs directionnels pour ne pas illuminer plus cette ville qui ne semble pas avoir de nuit. Encadré par une paire de retraité en manque d’argent dont le rôle est de vous indiquer un chemin pourtant bien balisé sur la route, ils n’ont que quelques heures pour jouer leur rôle et effacer leurs traces. Car jamais, ils ne laissent de traces.

Je pourrai parler aussi des restaurateurs, la porte de leur cuisine ouverte laissant entrevoir les coulisses de leur spectacle culinaire, les commerçants qui dès 5h rentrent ce que le livreur lui a laissé même pas une heure plus tôt ou encore le poissonnier, aspergeant sont établi en vu d’y mettre la glace et son arrivage tout frais de la criée. Autant de gens de l’ombre qui permettent au gens comme vous et moi, de profiter de la vie avec quelques gènes en moins, ces petites gènes qui s’accumulent et vous rendent tout bougon.

Ma vie la nuit a été comme une grande pièce de théâtre où chaque acteur jouait parfaitement son rôle, sans fausses notes et sans sur-jouer. Chacun dans sa scène, le script de la vie suivi à la lettre. Mais à l’inverse du théâtre, quand la pièce commence, le rideau tombe et quand elle est finie, le rideau se lève. C’est celui, métallique, de l’entrée du métro.

9 Réponses

  1. j’en ai la larme a l’oeil, que de suspense et que d’émotion, les mots sont à leurs juste place

  2. « Qu’est ce que je dis moi, j’ai vu tous les reportages de NT1 et W9, bien sûr que je sais que les contrôles de flic finissent par un touché rectal ! »
    J’espère pour toi qu’aucun douanier français ne lit ton blog, ils ont la mémoire longue, dans 11 mois tu pourrais avoir une mauvaise surprise à roissy ^^

    « La question fatidique arrive enfin, celle que tous les koban me murmurent à longueur de nuit : « c’est votre vélo ? ». Non non, je l’ai piqué à une vieille y’a 10 minutes. Vous trouverez son cadavre dans les fourrés. Remerciez moi, vous êtes pas foutu de faire des momes donc un vieux en moins, ça augmente vos statistiques jeunes/vieux. »
    Pour augmenter les statistiques tu aurais pu préciser que tu cherchais une charmante japonaise pour leur montrer comment on obtient la carte famille nombreuse, non ? Ils auraient sans doute apprécié.

    Du coup, as tu pu tourner ce que tu voulais ?
    J’ai une question technique, attention, tu as quoi comme appareil photo ?

    • j’ai filmé ce que je voulais oui, même si ça n’a pas été facile, comme l’ensemble de ce projet « cinématographique » en fait.
      Comme appareil, j’ai un Sony nex-7 avec deux objectif :
      – un 24 mm f1,8
      – un 18-200 f3,5 – 6

      Et pour le son, j’ai un enregistreur Zoom H2n.

      • Tu es bien équipé. C’est un certain investissement, mais la passion …

  3. La vache vu le nombre de naze qui circulent en vélib sur Paris, qui roulent en contre sens et je t’en passe, j’imagine pas le nombre de flics qui faudrait réquisitionner !!! héhhéh

  4. Comme je te l’ai déjà dis, c’est toi l’arabe au Japon !

  5. Encore une bonne balade, et le genre de vie nocturne qui me ressemble bien plus que quelconque club ou que sais-je encore.
    Ps, merci pour les infos sur ton matos photo, je me posais régulièrement la question en parcourant tes posts ^_^

    • Je suis aussi plus du genre promenade à la cool la nuit que club/boite. Un bar de temps en temps me va bien aussi mais pas tout seul.

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